dimanche 13 mai 2012

Le lyssenkisme ou comment une science factice a reussi a prendre le pouvoir


L’histoire de Lyssenko recèle bien des mystères. Comment un homme a-t-il réussi à imposer une « technique » agricole et une idéologie pseudo-scientifique infondée alors qu’il n’avait aucun résultat ?
Trophim Denissovitch Lyssenko, technicien agricole ukrainien, est né en 1898. Issu d’une famille paysanne pauvre, il accède facilement à une école agronomique grâce à son statut social. A cette période, Staline favorise les fils du peuple qui doivent leur ascension à l’Etat et discrédite les intellectuels bourgeois. En 1929, Staline propose un plan de sauvegarde de l’économie du peuple par la collectivisation des terres des paysans pour maximiser les récoltes. Mais les agriculteurs ne sont pas tous d’accord et certains tentent des sabotages et instaurent des pénuries volontaires. Staline ne cède pas à la pression et de très nombreux paysans sont déportés. C’est dans ce contexte de crise que Lyssenko apparaît comme le sauveur du pays. Ce n’est pas un grand chercheur ni un révolutionnaire mais il vend sa technique de vernalisation comme personne. Le principe consiste à transformer des plantes en d’autres en les soumettant à des conditions spécifiques de culture. Il s’inspire de la technique d’agrobiologie inventée par Mitchourine. Celui-ci est reconnu comme le fondateur de la nouvelle biologie prolétarienne, alors qu’il n’était au départ qu’un simple jardinier pratiquant des techniques de greffe des arbres. Cette méthode, dont Lyssenko s’attribue la découverte, est mise en avant afin d’améliorer les rendements de l’agriculture soviétique et ainsi sortir le pays de la crise. Il réussit à convaincre Staline que les imposteurs ne sont pas uniquement dans l’agriculture mais aussi dans la Science, puisqu’il dénonce la génétique classique comme « réactionnaire, métaphysique, idéaliste et stérile. » Grâce à des résultats trafiqués, obtenus sur des terres et des animaux, Lyssenko se fait une redoutable réputation et peut se permettre de discréditer entièrement ses opposants scientifiques.
Celui-ci affirme : « Dans la période post-darwinienne, la plus grande partie des biologistes du monde, au lieu de continuer à développer la doctrine de Darwin, firent tout pour dévaluer le Darwinisme, pour en étouffer la base scientifique ».Weismann, Mendel et Morgan incarnent selon lui cette décadence, puisqu’ils ont fondé la génétique dite mendélienne. Cette science, jeune à l’époque, a mis au jour les mécanismes de l’hérédité en s’appuyant sur l’idée de transmission de caractères par le biais de gènes, qui en seraient le support unique. Mendel démontre que les caractères se transmettent de génération en génération. Weismann affirme que les caractères acquis ne peuvent se transmettre génétiquement et Morgan, quant à lui, reçoit le prix Nobel de médecine en 1933 pour avoir montré que les chromosomes étaient les supports physiques de l’information génétique. Alors que cette génétique, valable d’un point de vue scientifique, a dominé les esprits jusque-là, Lyssenko réussit à la discréditer auprès des grands. Le pouvoir oblige tous ceux qui travaillent sur la génétique mendélienne à arrêter leurs travaux, puis les envoie peu de temps après au Goulag. La recherche en génétique est strictement interdite et le Lyssenkisme devient l’unique façon de penser en Science.

Il contraint les agriculteurs et les éleveurs à appliquer ses théories, tout en suivant la ligne stalinienne, qui impose de travailler en collectivité, et ce afin d’augmenter les rendements. Les animaux et les plantes doivent être soumis à des conditions spécifiques censées engendrer des améliorations héréditaires. Les résultats se font sérieusement attendre, d’autant que de nombreux jeunes agriculteurs refusent de céder à ce formatage agricole et arrêtent de travailler. C’est une catastrophe pour l’agriculture du pays. Quelques proches de Staline émettent des doutes sur la théorie lyssenkiste et ses résultats mais Staline ne remet pas en cause son protégé, jusqu’à sa mort en 1953. Kroutchev, le successeur au pouvoir, continue de croire en Lyssenko et lui donne les mêmes privilèges, jusqu'à sa chute en 1964. Peu de temps après, Lyssenko est convoqué devant le comité de l’Académie des Sciences soviétique, et cette audition aboutit au discrédit complet de ses thèses. 
Trophim Lyssenko était soutenu parce qu’il affirmait que les caractères acquis peuvent être transmis héréditairement, ce qui convient parfaitement à l'idéologie marxiste. Il reflète l’espoir d’une transformation de la société, qu’il s’agit d’inscrire dans le temps. Il lui donne une fondation scientifique et permet d’en généraliser la portée au monde naturel. Le Lyssenkisme peut ainsi se revendiquer comme une science prolétarienne, contre une génétique bourgeoise qui prône l’idée que les caractères acquis ne peuvent se transmettre. Du fait du triomphe de Lyssenko, la recherche génétique a été étouffée pendant des décennies en Union soviétique. Les conséquences en ont été très graves pour la productivité agricole et l'environnement mais aussi pour la recherche, puisque les compétences en biotechnologie se sont perdues.

Elodie Garand

  • GRATZER Walter, « L’affaire Lyssenko, une éclipse de la raison », Médecine/Science, n° 21, 2005
  • KINDO Yann, « L’affaire Lyssenko, ou la pseudo-science au pouvoir », Science et pseudo-science, n° 286, juillet 2009, http://www.pseudo-sciences.org (dernière consultation le 21 mars 2012).
  • MARCIL Claude, « Le professeur aux pieds nus », Sciencepresse, http://www.sciencepresse.org (dernière consultation le 18 mars 2012).
  • TIRARD Stéphane, «La vernalisation, la biologie et la politique», Pour la Science, février 2005
  • BUICAN Denis, Lyssenko et le Lyssenkisme, PUF, coll. « Que sais-je ? » 1988.




L’Homme de Piltdown, notre ancêtre l’imposteur.



L’Homme de Piltdown, ce nom n’évoque peut être pas grand chose aujourd’hui et pourtant… cet hominidé découvert au début du xxe siècle a bien failli remettre en cause de nombreuses découvertes sur l’origine de notre espèce. 


La miraculeuse découverte    

En 1899, à Piltdown, Mr Charles Dawson, avocat passionné de paléontologie et membre actif de la Geological Society of London, découvre une carrière. Interrogeant des ouvriers présents sur le site, il les prie de bien vouloir l’avertir si d’éventuels ossements faisaient surface. Quelque temps après, un ouvrier lui apporte un fragment d’os plat. Dawson reconnaît un morceau de crâne humain. Il entreprend alors des fouilles qui durent trois ans.

Ce n’est qu’en 1912 qu’il fait appel à un vieil ami, Arthur Smith Woodward, conservateur au British Museum, pour lui parler de ses trouvailles. Dawson lui montre un crâne humain ainsi que quelques fossiles de mammifères, comme la dent d’un éléphant. Selon la technique de datation de l’époque, ces fossiles appartenant au même gisement seraient contemporains. Ils réussissent à dater la dent d’éléphant d’il y a environ 500 000 ans. Par analogie, cela correspondrait également à l’âge du crâne.

En juin, un nouveau personnage entre en scène : le jeune étudiant jésuite de Chardin. Celui-ci les rejoint dans leurs recherches et ils découvrent les vestiges d’une moitié droite de mâchoire. Cette mâchoire ressemble nettement à celle d’un singe. Néanmoins, elle présente deux molaires à l’usure plate comme chez les humains. Il est donc normal pour les trois hommes d’associer la mâchoire au crâne trouvé précédemment.

Emballé par cette découverte, Smith Woodward apporte tous ces fragments au British Museum et assemble le crâne en comblant les éléments manquants avec de la pâte à modeler. Le nouveau visage de l’Homme est alors gardé secret, jusqu’en décembre 1912 où il est présenté à la Geological Society à Londres. Ayant stupéfait les plus grands savants anglais, l’Homme de Piltdown est  exposé au British Museum de Londres en tant que « chaînon manquant » entre l’Homme et le singe.

La fierté de l’Angleterre 

Pour l’Angleterre, la découverte de l’Homme de Piltdown est une victoire, une revanche. Au début du xxe siècle, l’Angleterre est moins dotée en découvertes paléontologiques que ses voisins français et allemands. Depuis 1850, l’ancêtre de l‘Homme, découvert en France, s’appelle Homo Neandertalis. C’est donc une immense fierté pour les Anglais de savoir qu’un Homme encore plus vieux que ce dernier a été découvert sur leur territoire. Se mêlent alors fantasmes et  glorification dans les journaux anglais : « Adam serait Anglais ! », « L’Angleterre,   berceau   de l’humanité ».

Alors que le peuple se réjouit, les savants se méfient : l’homme de Piltdown, quelques mois après sa découverte, fait déjà débat. Son crâne semble nettement plus évolué que celui de l’Homme de Néandertal. Pourtant, ce dernier est de 500 000 ans son cadet. Les anthropologues français et américains supposent que les fossiles appartiennent à deux individus distincts. Néanmoins, la notoriété de Woodward et de nouvelles trouvailles vont réussir à convaincre les sceptiques. En 1913, Teilhard trouve sur le même site une nouvelle dent appartenant à la mâchoire. En 1915, Dawson trouve un second crâne et une seconde mâchoire qu’il réassemble et qualifie de deuxième Homme de Piltdown. Dawson décède un an plus tard.

La fraude démasquée

L’Homme de Piltdown demeure l’Homme le plus vieux du monde jusqu’en 1924, période à laquelle l’Australopithèque est exhumé en Afrique. Celui-ci, âgé de 4,4 millions d’années, est beaucoup plus ancien que l’Homme de Piltdown. C’est principalement après la seconde guerre mondiale que la notoriété de ce fossile est ébranlée. En effet, un nouveau système de datation est découvert : la datation au fluor. Le principe est que lorsqu’un élément repose dans un sol, celui-ci absorbe le fluor des roches qui l’entourent. Ainsi, en mesurant la quantité de fluor de plusieurs fossiles, il est possible de définir leur appartenance aux sols et leur âge relatif.
C’est un dénommé Oakley (docteur en paléontologie) qui soumet l’Homme de Piltdown à ce test en 1949. Il observe que la dent d’éléphant trouvée à Piltdown et le crâne de l’Homme ne possèdent pas le même taux de fluor et qu’ainsi ils ne peuvent pas être contemporains. Vu la faible quantité de fluor que contient le crâne, celui-ci est âgé au plus de 40 000 années. Il est alors inconcevable d’imaginer que le lien entre l’Homme et le singe ne remonte qu’à si peu de temps. L’Homme de Piltdown n’a plus sa place dans l’évolution humaine.

Le fossile posant de trop nombreux problèmes, le Dr Oakley fait appel à un prestigieux anatomiste de l’époque et son assistant : le professeur Le Gros Clarck et le docteur J.S Weigner. Les résultats de leur analyse chimique, physique et anatomique sont accablants : le crâne et la mâchoire n’appartiennent pas au même individu. Le crâne serait celui d’un Homme moderne et la mâchoire celle d’un orang-outan. De plus, ce dernier aurait été teinté au bicarbonate de potassium pour lui donner un aspect de fossile. Quant à la dent d’éléphant qui a servi de repère temporel celle-ci est bien un fossile ancien mais qui n’appartient pas au gisement de Piltdown. Elle provient d’un terrain paléontologique connu de Malte.
A la fin de l’année 1953, le bulletin géologique du British Museum annonce, quarante ans après sa révélation au monde, que l’Homme de Piltdown n’est qu’une vulgaire supercherie. Le coup de grâce est donné en 1959 avec l’arrivée de la datation au Carbone 14 : le crâne appartient à un homme du Moyen-Age et la mâchoire à un singe d’à peine 500 ans.

Qui est l’auteur de la fraude ?

Il s’agit donc bel et bien d’une fraude scientifique. On l’a même qualifiée de la plus importante du xxe siècle. Mais qui en est l’auteur ? Plusieurs grands noms de la Science ont été suspectés. Le premier est Ruskin Butterfield, conservateur du musée d’Hasting (Sud de Londres) qui a eu quelques litiges avec Dawson. Plusieurs années auparavant, Dawson avait ramené de contrées lointaines un fossile d’Iguanodon qu’il avait refusé de confier à Butterfield. Ce dernier aurait-il voulu se venger ? Passons maintenant à Woodward, le compagnon de Dawson. Il a été intégralement innocenté, du fait de sa notoriété et de sa réputation d’homme intègre.

La thèse la plus probable est que Dawson a mis en place cette supercherie avec l’aide de Teilhard de Chardin. Dawson était un homme qui voyageait très peu, il lui était difficile de se procurer des fossiles tels que la dent d’éléphant de Malte. Il se serait donc fait aider par Teilhard de Chardin qui, quant à lui, avait voyagé en Egypte pendant sa jeunesse chez les Jésuites.

Ce qui pousse à valider cette dernière hypothèse, c’est que Oakley a correspondu, des années après la révélation de la fraude, avec Teilhard. Celui-ci a dit avoir découvert le second Homme de Piltdown avec Dawson en 1913. Grave erreur : souvenez-vous, le deuxième crâne a été découvert en 1915. Teilhard se trompe d’abord sur la date. Surtout, il ne pouvait pas être présent en 1915 en Angleterre puisqu’il était au front, en France. Le mensonge de Teilhard de Chardin est ainsi considéré comme la preuve de sa culpabilité.

La question qui reste en suspens est : pourquoi ? Qu’est ce qui pousse deux hommes aux carrières accomplies à monter un tel scénario ? Le besoin de reconnaissance ? La vanité ? L’excès de chauvinisme ? Ou simplement l’envie de tester la crédulité du monde entier ?




BIBLIOGRAPHIE 


DE PRACONTAL Michel, L’Imposture scientifique en dix leçons, Seuil, 2005, leçon 5, p. 145-152.

DELUZARCHE Céline, « L’homme de Piltdown », L’internaute, 2006, http://linternaute.com (dernière consultation 21 avril 2012).
DEVILLIERS Charles, « Interrogations sur un vieux problème : l'homme de Piltdown », archive du Comité français d’histoire de la géologie, 1990, http://annales.org (dernière consultation le 21 avril 2012).

HERBERT Thomas, Le Mystère de l’homme de Piltdown, édition Belin, 2002.

MARCIL Claude, « L’homme de Piltdown : Adam était britannique », Sciencepresse, 2012, http://www.sciencepresse.org (dernière consultation le 21 avril 2012).

Chloé Pourtier

La Science pour convaincre


La science fait souvent débat, ce n'est pas nouveau. Rien d'étonnant alors à ce que certains groupes de pression tente de s'approprier des résultats de recherches pour étayer leur point de vue ou décrédibiliser leurs opposants. Ce qui est gênant, c'est lorsqu'ils font pression pour faire valider des résultats peu fiables, voire frauduleux, dans le but de servir leur cause. Le débat ne se porte plus alors sur le fond mais sur les méthodes. La fraude peut donc d'abord servir comme outil, puis se retourner contre ses utilisateurs.
On peut prendre l'exemple des recherches menées pas le professeur Rüdiger et son laboratoire sur les effets potentiellement néfastes des ondes émises par les téléphones portable. Dans l'affaire Haeckel et ses dessins appuyant la théorie de la récapitulation, la fraude est utilisée comme preuve du caractère mensonger de cette théorie, et plus généralement du darwinisme.
Le premier cas montre l'influence des lobbies sur les chercheurs, notamment pour des raisons économiques et plus rarement politiques, de santé publique… Les lobbies sont très largement impliqués dans le financement de la recherche. Pas évident dans ces conditions de mener des recherches vraiment objectives.
Le second cas montre comment un intérêt supérieur, la promotion de la théorie de l'évolution, a pu servir à justifier une fraude. La théorie de la récapitulation avait d'autant plus d’intérêt qu'elle était présentée de manière très visuelle d'où une grande force de conviction, en particulier dans un contexte de vulgarisation. C'est probablement l'engagement presque politique d'Haeckel en faveur du darwinisme qui l'a conduit à mettre de côté son objectivité.

Di Fabio Arthur -  Morand Maxime

Humilité ou fraude?



L’astronome Edwin Hubble est célèbre pour la constante qui porte son nom, et ses travaux de 1929 sur l’expansion de l’Univers. Récemment, on a soupçonné Hubble d’imposture. Georges Lemaître, physicien belge, aurait obtenu les mêmes conclusions que lui deux ans plus tôt…

Commençons par le résultat de l’enquête, en dévoilant que nous ne sommes pas en face d’une « fraude scientifique » au sens strict du terme. Edwin Hubble n’est finalement pas un « imposteur ». Revenons sur la suite des événements.

Georges Lemaître est un prêtre catholique belge, doublé d’un physicien émérite (il a travaillé au Harvard College Observatory). Il base son travail sur les calculs de son collègue l’astronome Vesto Slipher (1922), pour rédiger en 1927 un article théorique et expérimental concluant sur la valeur du taux d’expansion de l’Univers (la future constante de Hubble). Il obtient une valeur de 625 kilomètres par seconde et par megaparsec. Il publie la même année ses résultats dans une revue de faible renommée, les Annales de la Société scientifique de Bruxelles.

C’est deux ans plus tard, en 1929, qu’Edwin Hubble publie l’article qui va le rendre célèbre et donner son nom à la constante H. Cette célébrité explique le nom du télescope spatial Hubble, baptisé par la NASA. Dans cet article, Hubble donne à H une valeur plus précise, plus proche de 500 kilomètres par seconde et par mégaparsec. Deux ans séparent donc les publications de Lemaître et de Hubble.

Il faut retenir qu’à cette époque, l’article de Lemaître n’avait pas encore connu d’impact majeur, ayant été publié dans une revue mineure et francophone. En 1931, William Marshall Smart, astronome et rédacteur en chef de la revue Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, demande expressément à Lemaître l’autorisation de publier dans sa revue une traduction de l’article de 1927. Des observations sur cette traduction mènent à penser qu’Edwin Hubble est un imposteur, et que bien que plus précis, ses travaux de 1929 sont directement issus du premier article méconnu de Georges Lemaître.

En effet, une étude comparative des articles français et anglais de Lemaître montre une omission de certains passages clés, notamment celui sur la constante H. Il paraît alors envisageable que ces passages aient été supprimés volontairement par un tiers pour préserver le mérite apparent de Hubble. C’est la théorie de l’astronome canadien Sydney Van Den Bergh, qui publie un article à ce sujet en juin 2011. Le mathématicien sud-africain David Block va même jusqu’à penser que Hubble lui-même aurait pu censurer les paragraphes du belge qui lui ôtaient la primeur de la découverte.

En juillet 2011, la communauté scientifique soupçonne un cas de fraude. C’est alors qu’un astronome du Space Telescope Science Institute de Baltimore, Mario Livio, décide d’éclairer ces zones d’ombre. Il publie quelques mois plus tard, en novembre, un article disculpant Hubble ou quelque personne que ce soit d’avoir jamais voulu censurer l’article de Georges Lemaître. Ce dernier aurait volontairement supprimé des passages de son texte initial, notamment des passages très importants qu’il juge pourtant « sans grand intérêt ». Sans intérêt au regard de la publication de 1929 par Hubble, qui avait affiné les calculs grâce à deux ans d’observation supplémentaires.

Dans la lettre écrite par William Smart à Georges Lemaître, une lettre « n » mal calligraphiée peut être interprétée comme un « 72 ».

 


L’affrontement au sein de la communauté scientifique pour défendre ou incriminer Edwin Hubble repose en partie sur ce détail qui semble insignifiant. En lisant « 72 », David Block déduit que William Smart impose à Lemaître un écrémage de ses chapitres, notamment en ôtant le passage traitant de la constante H. Mario Livio y voit quant à lui une variable « n » laissant au contraire au belge la liberté d’ajouter ou de rajouter du contenu dans sa traduction.

Nous avons donc ici une sorte de subterfuge, mais en aucun cas une fraude. Tout vient de l’humilité d’un homme qui n’a pas jugé nécessaire de prouver à la communauté scientifique la paternité d’une des grandes découvertes de ce siècle. Aujourd’hui, à l’heure du brevet et du « publish or perish », on se demande pourquoi  un scientifique n’a pas tenu à cette reconnaissance.

De plus, les « faits » comme l’on dirait lors d’une enquête judiciaire, remontent à quatre-vingts ans. Seuls les documents d’archives permettent d’éclairer cette affaire. La thèse de Mario Livio est très convaincante, et semble tout à fait probable. Pourtant, on remarque qu’elle se base en partie sur des interprétations, interprétations qui peuvent être diamétralement opposées : ainsi, David Block pense que la lettre de Smart incrimine Hubble tandis que Livio considère au contraire qu’elle le blanchit.

The Hubble Space Telescope gravite autour de nous depuis 1990. C’est un instrument très important pour la recherche, qui porte donc le nom d’Edwin Hubble, qui est pendant quelques mois passé pour un imposteur. Il n’en a pas fallu plus pour que certains évoquent l’idée d’honorer Georges Lemaître en donnant son nom à une mission spatiale de la NASA ou de l’ESA, voire du prochain grand télescope européen. 


Antoine Gautier 


Références :

-           « Hubble cleared », Nature, vol. 479, 10 novembre 2011, p. 150.
-           « Edwin Hubble in translation trouble », site Nature, 27 juin 2011, http://www.nature.com/news/2011/110627/full/news.2011.385.html (dernière consultation le 15 février 2011).
-          BLOCK, David, « A Hubble Eclipse: Lemaître and censorship », arXiv, 20 juin 2011, rééd. 8 juillet 2011, http://arxiv.org/abs/1106.3928 (dernière consultation le 15 février 2011).
-          Livio, Mario, « The expanding Universe : lost (in translation ) and found », novembre 2011, http://hubblesite.org/pubinfo/pdf/2011/36/pdf.pdf (dernière consultation le 15 février 2011).
-          VAN DEN BERGH, Sydney, « The curious case of Lemaître’s equation NO. 24 », arXiv, 6 juin 2011, http://arxiv.org/abs/1106.1195 (dernière consultation le 15 février 2011).

vendredi 11 mai 2012

Hernst Haeckel, une fraude pour contrer le créationnisme.


Hernst Haeckel, une fraude pour contrer le créationnisme.


Hernst Haeckel (1834-1919) est un biologiste allemand et philosophe de la fin du XIXe siècle. Contemporain et admirateur de Charles Darwin, il a beaucoup contribué à la diffusion de la théorie de l'évolution. Il a encore mêlé biologie et sociologie, s'orientant vers l'eugénisme ou le darwinisme social.
Après avoir rencontré Charles Darwin, en 1866, il publie un livre, Generelle Morphologie der Organismen, dans lequel il développe sa théorie de la récapitulation. Cette théorie se peut s'énoncer à l'aide d'une phrase : « Lontogenèse résume la phylogenèse. » L'ontogenèse est la croissance d'un organisme jusqu'à sa forme mûre, la phylogenèse est l'histoire du processus évolutif des espèces. La récapitulation veut qu'au cours de l'ontogenèse, l'organisme passe par les stades de l'évolution en présentant des caractères de ses ancêtres.
Pour appuyer ses dires, Haeckel fait appel à ses talents de dessinateur. Il a dessiné des planches de comparaison d'embryons de différents espèces en montrant les ressemblances observées. De très jolies planches, très parlantes pour une visée de vulgarisation. Cependant, certains dessins d'observations sont tout simplement inventés. Ne disposant pas d'assez de matière, Haeckel a artificiellement accordé ses dessins avec sa théorie.
Nous sommes en présence d'une fraude scientifique par fabrication de données. Cette fraude sera démasquée par un autre chercheur, ennemi d'Haeckel, Wilhelm His, et reconnue comme telle par l'université d'Iéna en 1874. Pourtant, les planches de Haeckel se retrouvent aujourd'hui encore dans les manuels scolaires de certains pays.
C'est bien en cela que cette fraude est intéressante : reconnue très tôt, elle a été étouffée longtemps. C'est seulement en 1997 que Michael Richardson, un chercheur anglais a définitivement démontré la fraude d'Haeckel.
Cette persistance dans l'erreur peut s'expliquer par deux raisons. Tout dabord, la théorie de la récapitulation est actuellement et depuis les débuts de la génétique désuète. Ainsi, plus besoin de sappesantir sur des erreurs passées. Cela dit, si les planches d'Haeckel ont été utilisées dans un cadre scolaire c'est qu'il s'agissait d'un formidable outil de vulgarisation, qui emporte la conviction. Remettre en cause cet outil risquerait de donner des armes au créationnisme, théorie qui trouve davantage de défenseurs de nos jours.
Quand en 1997, Michael Richardson publie l'article, « There is no highly conserved embryonic stage in the vertebrates: implications for current theories of evolution and development », celui-ci a servi d'argument contre les évolutionnistes. Ce que Richardson a amèrement regretté.

La fin justifie-t-elle les moyens ?

Haeckel voulait que sa théorie soit un argument irréfutable contre le créationnisme. Un objectif pareil, justifiait de ne pas sencombrer de détails ni dobservations en nombre suffisant. Haeckel a donc pensé que la vérité scientifique, justifiait largement de falsifier des dessins dobservation. Cependant, les créationnistes eux aussi sont capables dobserver et de comparer des embryons. Ainsi, Haeckel non seulement n'a pas convaincu les créationnistes mais en plus leur a donné un argument, certes fallacieux, contre la théorie de lévolution.

La récupération de cette fraude par les négationnistes empêche d'accéder à une information neutre sur le sujet, en particulier sur internet. Les sources d'information françaises sont extrêmement laconiques sur le sujet. On peut citer un article du magazine Pour la Science de mai 1997 (no 247). Sinon la fraude est soit vaguement mentionnée, soit proprement ignorée.
Il faut donc se tourner vers les sources anglophones. On y voit deux types de sources. D'un côté, les informations neutres comme l'article de Michael Richardson ou encore un site faisant le point sur le débat entre évolutionnisme et créationnisme, talkorigins.org. D'un autre côté, il y a les articles créationnistes, très précis et très bien renseignés. Bien entendu, ils contiennent des jugements peu scientifiques et des points de vue définitifs et ils sont donc à lire avec prudence. On voit le magazine Creation ou encore le site antievolution.org.
Cette fraude, par ses relais, reflète le malaise que la science entretient vis-à-vis de l'erreur. Comment admettre qu'une théorie que l'on nous a prouvée soit fausse ? On constate aussi l'inertie de la culture scientifique d'une société.
Ici, la fraude a cristallisé un débat de société et est utilisé comme arme rhétorique : « Vous avez fraudé pour ces démonstrations, donc vous avez fraudé pour tout ». Or, les schémas ne concernaient pas directement la théorie de l'évolution mais celle de la récapitulation, certes dérivée de la première.

Ainsi, même lorsquune question scientifique devient un débat de société, les scientifiques doivent respecter la déontologie, d'autant que leurs résultats seront évalués de manière particulièrement critique.


SOURCES 
« Une fraude en embryologie », Pour la Science, mai 1998, no 247, p.10-12.
BRITAIN, Troy, « Haeckel's embryos », antievolution.org, 2001, <http://www.antievolution.org/topics/law/ar_hb2548/Haeckels_embryos.htm> (dernière consultation le 25 avril 2012).
GRIDD, Russel, « Fraud rediscovered », Creation, no 20, mars 1998, p. 49-51, <http://creation.com/fraud-rediscovered> (dernière consultation le 25 avril 2012).
MYERS, PZ, « Wells and Haeckel's Embryos », The TalkOrigins Archive, publié le 15 janvier 2004, <http://www.talkorigins.org/faqs/wells/haeckel.html> (dernière consultation le 25 avril 2012). 
RICHARDSON, Michael, « There is no highly conserved embryonic stage in the vertebrates: implications for current theories of evolution and development », Anatomy and Embryology, n196, 1997, p. 91106.

Arthur Di Fabio